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La défense des libertés et des droits humains sur Internet

Manifestation pour la défense des libertés sur Internet

(Publié à l’origine dans Mediapart)

La défense des libertés et des droits humains sur Internet fait partie des grands défis du cyberespace et décline chaque année. En une décennie, nous sommes passés d’un Internet ouvert et libre à un Internet de plateformes où les géants du numérique défendent les intérêts des actionnaires, les gouvernements autoritaires piétinent les droits humains et des entreprises privées espionnent des politiciens, des activistes et des journalistes.

Aujourd’hui, le cyberespace est devenu instable et les défis auxquels sont confrontés les défenseurs des droits humains et les journalistes sont plus nuancés et complexes. Les régimes autoritaires ont appris à utiliser des techniques sophistiquées pour asseoir leur contrôle dans le cyberespace.

De quoi parle-t-on ?

Les libertés sur Internet comprennent différents concepts comme le droit numérique, la liberté d’accès à l’information et la neutralité du net.

Le droit numérique propose un cadre légal pour la gestion des problèmes liés au cyberespace. La liberté d’accès à l’information garantit que les citoyens possèdent l’information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique et aux décisions qui concernent leur avenir. La neutralité du net garantit l’égalité de traitement et d’acheminement de tous les flux d’information sur Internet.

En ce qui concerne les droits humains sur Internet, le conseil des droits de l’Homme de l’ONU affirme que les droits qui s’appliquent hors ligne doivent être protégés aussi en ligne.

Notre défi actuel est de respecter ces concepts pour un Internet qui n’est plus seulement le web mais qui est un monde en réseau dans lequel nous vivons. C’est le monde de l’Internet des objets qui permet de connecter au réseau notre voiture, notre compteur électrique, notre carte de transport, l’appli de traçage des malades du Covid-19 ou encore les caméras à reconnaissance faciale qui fleurissent dans les mégalopoles.

Les tendances actuelles

Selon Freedom House, plus de 3,8 milliards de personnes ont accès à Internet. Parmi elles, 71% vivent dans des pays où des individus ont été arrêtés ou emprisonnés pour avoir publié sur Internet du contenu sur des questions politiques, sociales ou religieuses, 65% vivent dans des pays où des individus ont été attaqués ou tués pour leurs activités en ligne et 59% vivent dans des pays où les autorités ont déployé des commentateurs progouvernementaux pour manipuler les discussions en ligne.

Les blocages d’Internet deviennent courants. En mars 2020, la Guinée a bloqué les réseaux sociaux la veille des élections législatives, en février 2020, la Turquie a stoppé les réseaux sociaux alors que la crise militaire à Idlib s’intensifiait et en avril 2019, l’Egypte a bloqué plus de 34 000 sites web pour faire taire une campagne d’opposition.

Les gouvernements ont appris également l’art des fake news et deep fake. La vidéo du discours du nouvel an 2018 d’Ali Bongo, supposée fausse, a enflammé le Gabon. Au Brésil des fake news et des théories de conspiration ont proliféré via des consultants payés par le gouvernement et en Inde les principaux partis politiques ont déployé des bots et des armées de volontaires pour diffuser des fake news.

La surveillance de masse s’impose également dans de nombreux pays. Le gouvernement Kazakh a utilisé un certificat de sécurité en août 2019 permettant de décrypter les communications des citoyens. La Russie a interdit en novembre 2019 la vente de smartphones sans logiciel russe préinstallé et la Chine utilise et exporte des technologies de reconnaissance faciale.

On peut également rappeler l’affaire Cryptoleaks qui a révélé que l’entreprise suisse Crypto AG aurait fourni à des gouvernements du monde entier des systèmes de chiffrement contenant une porte dérobée permettant aux renseignements allemands et américains d’avoir accès aux communications transitant par ces systèmes.

Les actions existantes

Pourtant, des gouvernements et des fondations financent des campagnes de lobbying et des technologistes pour protéger les libertés et les droits humains sur Internet. Des gouvernements, unis autour de Freedom Online Coalition, dépensent des dizaines de millions de dollars chaque année et des fondations comme Mozilla, Ford, l’Internet Society et l’Open Society jouent un rôle majeur.

La France a peu d’actions internationales. Au niveau national, la loi relative au renseignement est en vigueur depuis 2015 et le projet de loi Avia, qui définit d’une manière vague la notion de haine, pourrait favoriser la censure. La difficulté y est de combiner une défense intransigeante des libertés fondamentales avec la lutte contre la haine et la manipulation de l’information. Ce projet pourrait inciter les plateformes à supprimer plus de contenus qu’il ne faut pour éviter des sanctions, déléguer une responsabilité judiciaire à des acteurs privés et définir un modèle de passe-droit pour des régimes répressifs.

Code is law

Le cyberespace reste une zone de non droit car de nombreux pays n’ont pas de cyber politiques nationales protégeant leurs citoyens et ne sont pas concernés par les rares réglementations internationales. Des réponses technologiques et légales sont nécessaires pour combattre la censure, la surveillance de masse et la désinformation qui se sont banalisées. Les outils numériques et les cyber politiques occidentales peuvent sembler favoriser une propagande nord américaine et européenne mais permettent avant tout de protéger les citoyens et de garantir des valeurs démocratiques qui sont à la base de nos sociétés. La défense des libertés et des droits humains fait partie explicitement de nos valeurs démocratiques, Internet inclus. Il serait temps d’être plus actif dans leur protection en créant une autorité publique indépendante régulant les plateformes, en formant les acteurs publics, en appuyant les organisations de la société civile, en développant des technologies protégeant les citoyens et en participant activement aux débats internationaux.

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